Avec : Joséphine Japy, Lou de Laâge, Isabelle Carré,...
Musique : Marc Chouarain
Durée : 1h32
Synopsis :
Sasha a de nombreux projets, épouser Stephan, quitter Belgrade pour le Canada et par la même occasion s’éloigner de son père, un peu trop possessif. Mais un accident de voiture contrecarre ses plans, Stephan se retrouve à l’hôpital, et Lana, la sœur de ce dernier, accourt en apprenant la nouvelle.
Lana est photographe, fantasque et elle ne cache pas son goût pour les femmes. Par jeu, elle provoque Sasha, si sûre d’elle, si comme il faut. Mais ce jeu du chat et de la souris va prendre une tournure nouvelle où tout sera désormais permis.
Dans ce thriller psychologique sombrement comique mais non moins sexy, Dragan Marinkovi aborde des thèmes contemporains et dépeint avec justesse une société serbe en pleine mutation.
Pour ce deuxième long-métrage, Mélanie Laurent adapte librement l’ouvrage éponyme d’ Anne-Sophie Brame et livre un film très personnel car il aborde le sujet délicat, douloureux, de la perversion narcissique. Un thème que la réalisatrice connaît bien puisqu’elle avoue avoir vécue une relation amoureuse avec un manipulateur. Personnel enfin, car ce film - où Mélanie Laurent n’apparaît pas en tant qu’actrice - marque un vrai talent de cinéaste et de direction d’acteurs, malgré un début quelque peu trop long pour exposer les personnages. Curieux de rencontrer la jeune cinéaste, Lille La Nuit a fait le déplacement pour l’interviewer. Nous avons découvert une jeune femme réfléchie, passionnée, portant une véritable réflexion sur la mise en scène et qui se verrait bien abandonner le métier d’actrice pour se consacrer uniquement à la réalisation.
Lors de notre entretien, Mélanie Laurent était accompagnée de sa brillante et très mature jeune interprète (20 ans !), la révélation de Respire : Joséphine Japy.
Isabelle CARRE et Claire KEIM ( © Pure People )
Lou DE LAAGE
Interview exclusive ( salle de conférence de Hôtel L'Hermitage Gantois ) :
C’est votre deuxième long métrage après Les adoptés, je crois que le premier était un sujet original, celui là est une adaptation, pourquoi le choix d’une adaptation et comment vous avez procédé ? Est-ce que c’est fidèle, éloigné du roman original, comment ça s’est passé ?
Mélanie Laurent :
Je l’ai lu, j’avais 17 ans. A l’époque, l’auteur avait 17 ans aussi. Je voulais déjà l’adapter. Heureusement, personne ne m’a fait confiance, parce qu’on n'est pas sérieux quand on a 17 ans. Il m’aurait manqué énormément de maturité et je n'aurais eu aucun recul sur cette histoire d’adolescentes violentes, puisque j’étais un peu dedans et que moi-même à l’intérieur de mon lycée, j’ai connu la boule au ventre, les bandes de filles un peu cruelles, les jalousies, les rapports un peu malsains. Pas du tout au point de ce que vit Charlie, mais en tout cas cela faisait écho en moi sur un certain nombre de choses. Après je l’ai oublié, et quand j’ai eu envie de faire un film je n’y ai pas du tout pensé.Quand j'ai écrit ce rôle, j’ai pensé à des adultes que j’ai rencontrés et qui sont des grands manipulateurs. C’était donc bien au final d’avoir toutes ces années pour écrire ces personnages.
J’ai fait Les adoptés en inventant de toutes pièces cette histoire et quand il a fallu se pencher sur le prochain, il y avait beaucoup de pression. J’avais fait un film avec beaucoup d’insouciance et pour le deuxième, il y avait un vrai choix de sujet à faire qui m’est apparu comme une évidence. J’en ai parlé à Bruno Levy mon producteur en lui disant « écoute, j’ai ce livre qui ne m’a jamais vraiment lâché, qui est toujours un peu là, qui a laissé une trace pendant toutes ces années ». Et ce qui est intéressant c’est aussi que de vingt à trente ans, j’ai croisé des vrais pervers narcissiques dans mon métier, dans des amours, dans des métiers qui ont nourri ce personnage de Sarah. C'est-à-dire que d’un coup ce personnage de Sarah, je l’ai écrit comme un rôle adulte et pas comme une adolescente qui ne se rend pas compte du pouvoir qu’elle a, et qui s’amuse un peu. Ce n'est pas juste le jeu du chat et de la souris, je pense qu’il y a quelque chose de très mature et très conscient chez elle. Quand j'ai écrit ce rôle, j’ai pensé à des adultes que j’ai rencontrés et qui sont des grands manipulateurs. C’était donc bien au final d’avoir toutes ces années pour écrire ces personnages.
Et après, pour l’adaptation, je n’ai pas relu le livre. Elle est donc un petit peu libre. Elle vient des souvenirs que j’en avais quand j’avais 17 ans. Le livre se passe sur quatre ans, là le film se passe sur six mois. Charlie était très mal dans sa peau avec un physique difficile, se sentait très en dessous de la beauté de Sarah, qui était presque schizophrène dans le livre. La scène finale ne se passait pas du tout comme ça. Et puis j’ai réinventé aussi le contexte familial. On était dans un lycée très parisien. J’aimais bien l’idée d’une petite ville de province où changer de lycée, ce n'est pas facile. Connaître des gens depuis des années et tout d’un coup ne plus les connaître. J’aimais bien l’idée de l’isolement.
© AlexMarouzé/AMview.
Joséphine, comment avez-vous construit ce personnage ? Vous êtes une jeune actrice, c’est quand même un personnage qui passe par toute une palette d’émotions, qui se transforme beaucoup tout au long du film, et vous vous retrouvez dans des situations assez paroxystiques. J’aimerais savoir comment vous avez travaillé et justement comment vous avez travaillé cette relation paroxystique avec Lou de Lâage ?
Joséphine Japy :
Pour travailler cette relation avec Lou, Mélanie avait fait un truc super : elle nous a emmené quatre jours à la campagne, loin de tout. On a pris les scénarios, on a travaillé dessus, on a parlé un peu de tout, des amitiés à cet âge là, les premières amours, de plein de choses de la vie en fait. Et à chaque fois, ça nous ramenait un peu vers le scénario. Puis, on a vraiment travaillé sur l’idée de chaud et de froid entre les deux personnages de Charlie et Sarah. Je me souviens : il y a même un moment où on prenait les scènes et limite on mettait des plus et des moins à côté. On se disait là c’est un coup de chaud, puis là comme elle lui a fait un sale coup, c’est un gros coup de froid. On travaillait tout le temps là-dessus pour la relation entre Charlie et Sarah.
Après plus particulièrement sur le travail de Charlie, ce qui était assez compliqué, c’est que c’était ma première expérience en tant que comédienne, d’un coup, j’allais arriver le premier jour, être là de la première scène jusqu’à la dernière scène du dernier plan. Et au-delà de la responsabilité que c’est de porter un rôle comme celui là quand une réalisatrice et une comédienne comme Mélanie vous apporte un rôle aussi riche, il y a aussi l’envie de se transcender, d’aller jusqu’au bout et de donner le meilleur. Ça n’était pas évident dans le sens où il fallait le tenir sur une durée, c’était physique. Il y avait beaucoup de scènes d’oppression, d’angoisse, d'essoufflements, vraiment dans la respiration, donc tout ça fatigue physiquement. Ça a été un gros travail sur le tournage en particulier.
© AlexMarouzé/AMview.
Le film est très mobile avec la caméra…
Mélanie Laurent :
C’est une caméra d'épaule du début à la fin.
Est-ce que c’est dû aux situations, à l’improvisation, est-ce que c’est dû aussi au fait que vous ayez dû peut être vous adapter à un temps de tournage très court ?
Mélanie Laurent :
Oui, on avait six semaines et on a fini une journée en avance. Le problème du temps en fait… Moi, je fais une ou deux prises, on ne s’épuise pas beaucoup. D’ailleurs, il y avait des scènes où j’avais prévu quatre heures pour les faire et on les a pliées en dix minutes. On avait donc du temps pour faire d’autres choses, aller boire des coups… (Rires) ! En fait, avec mon chef opérateur, on avait quatre décors. Pour Les Adoptés, j’en avais trente-cinq. Donc c’est sûr que ce n’était pas les mêmes films. Pour Les Adoptés, je faisais que des plans séquences, celui-là j’ai fait pas mal de découpages et la caméra est allée aussi se placer en fonction des mouvements des acteurs. Mais on est passé de plans extrêmement précis avec carrément des références de photos que j’avais vues, avec des idées de lumière que je voulais, et à la fois sur certains moments pas tant que ça.
Le fait d’être à l’épaule permet que tout d’un coup, hop, on a envie de se retourner vers un acteur dans la même scène, on le fait. C’était une évidence pour moi que ça allait être caméra à l’épaule, je ne voyais pas comment je pouvais poser ce film, ni le mettre sur des rails. Je le voulais vivant, toujours, mais pas sur une épaule qui fout la gerbe. Je n’ai pas du tout envie qu’on ait le mal de mer, qu’on se sente mal à l’aise à l’image. En revanche, je pense que ce n’était pas un film qu’il fallait poser. Il fallait qu’on reste vivant. Je voulais qu’on ne sache jamais ce qui va se passer.
Une question pour vous deux : qu’est-ce que vous vouliez sur Respire à tout prix éviter, et absolument réussir ?
Mélanie : Bonne question à Lille (Rires) ! A tout prix réussir… C’est toujours très compliqué de faire un film dramatique sans tomber dans le pathos. La plus grande difficulté à éviter, le jour où j’ai rencontré Joséphine, je savais que j’allais la surmonter. A l’écriture du scénario, beaucoup de gens me disaient « je ne sais pas qui tu vas prendre comme actrice mais faudra qu’elle soit super bonne parce qu'on a un peu envie de lui foutre des baffes, va falloir qu’elle se réveille, elle ne peux pas supporter tout ça sans jamais réagir ». Il y a donc eu cet écueil qu’il a fallu surveiller de près. Une actrice qui au bout d’un moment subit, subit, subit avant qu’elle craque, ça peut être très énervant. Ça aurait pu être le truc le plus raté de tout le film, d’avoir une actrice qui ne s’empare pas de ce rôle de victime. Joséphine joue la victime sans pour autant être la pauvre petite victime cliché. Elle a truc dans le regard assez fascinant et donc génial à filmer. Elle souffre, on souffre avec elle, elle provoque beaucoup d’empathie. Et donc on comprend beaucoup de choses de ce qu’elle fait, comment elle réagit. C’était ça qu’il fallait réussir, et si on n’avait pas réussi ça, le film aurait été autre chose.
Joséphine : Après tout ça c’est dur de répondre (Rires)… A tout prix réussir… Oui je pense que Mélanie avait raison, il fallait qu’on la comprenne cette Charlie, qu’on ne reste pas extérieur à son histoire, mais je pense que c’est valable aussi pour le personnage de Sarah.
Mélanie : Oui, mais tu es de chaque plan, c’est toi qu’on suit. Si on ne croit pas à ce que tu vis, il est foutu le film.
Joséphine : Merci Mélanie (Rires) ! Non, moi ce qui me faisait peur, plutôt avant le tournage, qui m’angoissait vraiment, c’était qu’on ne s’entende pas.
Mélanie : Ah oui c’est vrai que t’avais ce flip. Avec Lou ?
Joséphine : Oui avec Lou. Quand j’ai rencontré Mélanie pour la première fois, je savais que ça allait très bien se passer, je n’avais pas de doute là-dessus. On parlait tout simplement à la table d’un café, elle trouvait déjà les mots qui déclenchaient les automatismes dans ma tête qui me permettaient de comprendre directement ce qu’elle voulait, où elle voulait aller, et comment elle voulait construire son personnage.
Mélanie : Sans être mystique hein ?
Joséphine : Sans être mystique oui (Rires) ! Mais par contre ce qui me faisait vraiment peur, c’est qu'il y a un tel rapport entre Sarah et Charlie, si jamais on ne s’entend pas bien ça va être une souffrance terrible de tourner ce film. Filmer toutes ces scènes très dures, très intenses, où on se balance des choses à la figure, etc. Si jamais on ne s’était vraiment pas entendu, ça aurait été très violent. Là, ce qu'il se passait sur le tournage, dès qu’une scène était terminée, on allait se voir en disant « ça va, t’es sûre que ça va aller, j’ai été vraiment vilaine cette fois-ci » ! A chaque fois ça se passait comme ça et du coup c’était un écueil évité aussi. C’était très facile de tourner tout ça. Il n’y avait pas de haine, de jalousie, de stress, à aucun moment du tournage. C’est quand même la meilleure situation possible.
A Mélanie Laurent : Vous vous épanouissez plus en tant que cinéaste ou en tant qu’actrice ?
Mélanie : Qu’est-ce que vous en pensez (Rires) ? Il n’y a qu’en tant que réalisatrice que je respire, que je suis ce que je suis. La première fois que j’ai tourné mon premier long métrage, la personne qui me connaît le mieux au monde m’a dit « ah bah dis donc, ça y est, c’est enfin toi » ! Ce qui voulait dire que cela faisait quinze ans que ce n’était pas moi. Quand on est réalisateur, quand on peut pendant un an, deux ans, trois ans de sa vie, s’intéresser à quels sons on va mettre, de violons, de piano, sur la scène où elle rentre dans l’eau... Ça quand même, s'il n’y a pas quelque chose de plus tripant que ça, je veux bien essayer. Mais artistiquement, j’ai toujours eu beaucoup d’imagination quand j’étais petite, et c’est le seul métier qui me permet de canaliser tout ça. Je m’éclate chaque seconde de ma vie quand je fais ça, parce que chaque étape, chaque particule, chaque instant me remplit à un point… Du coup c’est difficile maintenant d’être actrice.
Vous pourriez abandonner du coup, juste pour la réalisation ?
Mélanie : Oh oui. Oui, mais en même temps juste avant de tourner Respire, j’ai tourné avec une réalisatrice péruvienne extraordinaire qui s’appelle Claudia LLosa avec qui j’ai fait un film magnifique, et elle ne disait pas « action » ! Je lui ai piqué. Elle tournait à l’épaule, j’ai trouvé ça génial, et je me suis dit que pour Respire je devais absolument tourner à l’épaule. Avant les Adoptés, même si le film n’a rien à voir, j’avais tourné Beginners, pleins de petites vignettes, de moments de vie, je lui ai piqué ces trucs-là. Alors il faut toujours garder son œil, mais ce sont des réalisateurs comme ça qui m’inspirent ce que je suis en tant que réalisatrice.
J’adore travailler avec des supers bons metteurs en scène. C’est sûr que maintenant je n’ai plus un regard d’actrice. Je pense d’ailleurs que les gens qui me choisissent maintenant le savent. Et je pense que je travaille un petit peu moins, parce que les gens doivent accepter ça. Il faut accepter une actrice qui ne reste pas trop en place. Jamais je ne dirais à un metteur en scène : « tu devrais faire ça ou je l’aurais fait comme ça », même pas en rêve. Mais c’est vrai que mon œil se pose sur plein de choses et que tout m’intéresse maintenant. J’ai une fascination pour les « actrices objets ». Marie Denarnaud m’avait dit « Moi je suis ton objet, tu fais ce que tu veux de moi ». Je lui ai répondu « ah bon ? Mais c’est génial » ! Elle m’avait répondu « Ah mais moi je n’aime que ça, j’aime uniquement qu’on me dise ce que je dois faire et me diriger. Pourquoi toi non ? ». Non, moi personne ne sait me dompter. Ce jeu là entre un réalisateur et une actrice, la confiance qu’elles m’ont offerte était merveilleuse, parce qu’évidemment je détesterais travailler avec moi en tant qu’actrice. C’était super. J’ai à la fois besoin de mon métier d’actrice qui me nourrit et en même temps évidemment que je pourrais m’en passer.
C’est une chance inouïe de réaliser des films. Et puis en plus celui-là, qui est un peu un sujet de société. Je me rappelle de la tournée province de « Je vais bien, ne t’en fais pas », après des débats avec des jeunes anorexiques, elles venaient me voir en me disant « Je promets que je vais manger ce soir », et qui dix ans après m’écrivaient en me disant « je suis sortie de l’anorexie », font qu’on se rend compte du pouvoir de ce film et de certains films. A un moment donné, on regarde quelqu’un qui se diminue à l’écran, on observe sa souffrance, on prend du recul dessus, et on a une impulsion de vie. Si on change la vie d’une gamine qui se fait emmerder au lycée depuis septembre, le 12 novembre, et qui voit Charlie dans cette dépression nerveuse tellement atroce, qui se fait mal parler, qui ne se fait pas respecter, qui souffre en silence… S'il y en a une sur tous les gens qui verront le film qui dira en sortant « mais en fait celle qui m’emmerde au lycée elle a du pouvoir que si je lui en laisse. Donc je vais tracer, je vais avoir mon bac et puis je vais passer à autre chose ». Franchement, j’espère qu’il y en aura une pour qui ça va changer quelque chose et là on aura servi à quelque chose.
interview : © Gregory MAROUZE ( Lille la nuit ) .
Avec Grégory MAROUZE ( Lille la nuit )
Avec Sébastien DERNONCOURT
Viviane & Jacky CRENEAU ( le créneau du cinéma ) 2011
Bande-annonce :
Le jeune compositeur de la musique du film : Marc Chouarain ( ici avec le theremin MOOG ).
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