La religieuse de Guillaume NICLOUX ( d'après l'oeuvre de Denis DIDEROT )
Guillaume NICLOUX
Synopsis :
La Religieuse de Guillaume NICLOUX est l'un des trois films français en compétition à la Berlinale,
raconte l'histoire d'une jeune femme contrainte par sa famille à entrer
au couvent alors qu'elle aspire à vivre dans le monde : tiré du Roman
de Diderot, le film est construit comme une intrigue policière. Le
réalisateur et auteur de polars Guillaume NICLOUX, livre une ode à la
liberté d'une étonnante modernité.
( Bertrand Loutte )
Du siècle des Lumières à l’ère du tout-image : " destin d’un brûlot " ...
" Private Joke " comme dirait de nos jours les sectateurs du
franglais, l’œuvre de Denis Diderot est devenue au fil du temps une ode à
la liberté et une des dénonciations les plus violentes jamais
entreprises contre l’institution religieuse omnipotente. L’ouvrage était
profondément ancré dans son époque, cette ère de latence pré
révolutionnaire, où les philosophes libertins, entendons par là
l’acceptation idéologique du terme et non point son avatar sexuel,
portaient haut l’étendard de la lutte contre les dogmes officiels et la
monarchie absolutiste. Depuis lors, la laïcité est garantie par la loi
et les religions ont quitté la sphère publique pour s’épanouir au fond
des cours et des cœurs. Le brûlot épistolaire du père de la Grande
Encyclopédie aurait dû perdre sa charge émotionnelle et la dangerosité
de son venin. Le siècle passé nous prouva le contraire. Lorsque Jacques
Rivette, en plein règne gaulliste, proposa aux spectateurs des salles
obscures sa version du roman intitulée «Suzanne Simonin, la religieuse
de Diderot», les foudres de la censure s’abattirent sur le film. Il
fallut attendre près d’un an pour qu’enfin les cinéphiles découvrent
Anna Karina, par ailleurs muse de Jean-Luc Godard, sous les traits de
l’héroïne embastillée par la grâce vaticanesque.
Nous comprenons d’autant mieux ce qui a titillé l’ami Guillaume
Nicloux. Si au premier abord cette adaptation historique peut surprendre
de la part d’un réalisateur aux inspirations jusqu’ici résolument
contemporaines, une lecture plus approfondie du personnage rend ce
passage à l’acte tout à fait logique. Privilégiant le thriller (« la
clef », «le concile de pierre »), voire le polar pur jus («le Poulpe »
ou « cette femme-là »), le metteur en scène se penchait par là même sur
les failles béantes de notre société. Adapter à son tour ce livre à
thèses du dix-huitième siècle, ce fut pour lui comme un retour aux
sources. Découvert en cette période charnière de l’individu où le futur
adulte jette par-dessus les moulins les défroques du suivisme pour les
habits neufs de la révolte parfois systématique, ces pages prônant
l’opposition à l’autorité, la soif de justice individuelle, le refus de
la résignation et de l’arbitraire ne pouvaient que parler au jeune
Guillaume qui voguait alors vers les rivages de l’anarchiste et qui
adhérait à la culture punk. Le temps a passé, le fils s’est mué en père.
Le miroir de sa fille, aujourd’hui à la veille de sa majorité civique,
lui a sans doute rendu urgent la concrétisation d’un projet jusqu’ici
enfoui dans les limbes d’un futur indéfini.
Ne restait plus qu’à ne point se faire écraser par les enjeux.
Avouons-le d’entrée de propos, nous sommes agréablement surpris du
résultat. Le dépoussiérage a été réalisé avec tact et finesse.
L’austérité que certains cuistres élèvent au rang de valeurs cardinales
-n’est-ce pas Monsieur Dumont ?- n’a pas sa place ici. Si la
construction reste profondément classique – utilisation de la voix off
afin d’introduire le texte, éclairage à la bougie " à la Barry Lindon ",
richesse des costumes et des lieux-, le jeu des acteurs et les
mouvements de caméra adoptent une modernité de bon aloi. Le casting, pas
forcément évident de prime abord, s’avère être finalement judicieux. La
quasi-débutante Pauline Etienne justifie la confiance mise en elle par
le réalisateur en portant le film sur ses épaules, quant aux a priori
que pouvait soulever la présence, avec un rôle majeur de surcroit, de
Louise Bourgoin fort peu convaincante jusqu’ici, sa prestation balaient
tous les doutes formulés à son encontre. Pour le reste Isabelle Huppert,
en mère supérieure frustrée, et une myriade de seconds rôles
jubilatoires (Agathe Bonitzer, François Négret, Marc Barbé ou Gilles
Cohen) apportent une densité novatrice à l’œuvre. Nous avons ici ou ailleurs suffisamment pesté face à la prolifération
des «remakes» de classiques ; symptômes trop fréquents d’un manque
cruel d’imagination de la part des décideurs de l’industrie
cinématographiques, pour ne pas nous réjouir quand l’adaptation d’une
œuvre historique apporte un point de vue original et exploite de
nouvelles pistes de la conscience universelle. La religieuse de
Guillaume Nicloux est de cette espèce.
( Régis DULAS ).
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