"Si on ne prend pas des risques, on passe à côté de sa vie"
Aimé ou détesté, Claude Lelouch est un des plus grands cinéastes français. Ci-dessous, l'interview réalisé au Capitole à l'occasion des premières rencontres cinématographiques du Sud pour présenter en avant-première son documentaire, "D'un film à l'autre" qui raconte 50 ans de carrière. (sortie nationale le 13 avril)
Comment a germé l'idée de ce documentaire ?
- La société Films 13 a 50 ans cette année et j'ai voulu faire un film entre copains pour remercier les acteurs, les techniciens, bref les gens qui ont travaillé avec moi. Ce documentaire est un film qui s'est fait malgré moi, au début je n'aurais jamais pensé le sortir, je n'aurais jamais eu le culot de faire un auto-portrait. Et puis on m'a convaincu de son intérêt. Je l'ai fait pour mes 7 enfants d'abord, puis finalement pour tous mes autres enfants, que sont les spectateurs.
Que représente pour vous le cinéma ?
- C'est le plus beau pays du monde, c'est dans les salles de cinéma que ma mère m'emmenait pendant la guerre pour me mettre à l'abri. Le cinéma c'est l'arme absolue pour changer le monde car tout le monde aujourd'hui avec son portable peut être cinéaste avec plus ou moins d'intérêt et de talent, mais le cinéma est un art naturel. Les yeux sont notre caméra à tous.
Vous avez souvent été en proie aux critiques. Dans votre documentaire, vous êtes vous-même assez auto-critique sur votre travail, cela a-t-il été difficile ?
- Le cinéma c'est comme un couple, on s'aime, on se déteste, on se réconcilie, c'est la vie ! Quand un film ne marche pas, on a le sentiment d'être cocu. Si on veut reconquérir la personne aimée, on fait des efforts, le cinéma c'est pareil. Le seul critique important c'est le temps, c'est lui qui me permet de faire ce retour aujourd'hui et de dire qu'on apprend plus de ses échecs que de ses succès. J'ai fait le commentaire de ce film d'un seul trait, sans réfléchir, parfois j'avais envie de m'applaudir et d'autres fois de me siffler ! Quoiqu'il en soit ce sont les emmerdes qui font ressortir le bonheur, on ne peut pas apprécier l'un sans l'autre, il faut prendre des risques !
A l'image du début de votre documentaire où vous vous filmez en 1976 au volant de votre voiture dans une folle traversée de Paris où vous brûlez feux rouges et stops à l'envi, vous avez pris des risques dans votre vie de cinéaste confrontée à des hauts et des bas.
- Je n'aurais jamais pu vivre autrement qu'en prenant des risques. Quand j'ai remporté les 2 Oscar pour "Un homme et une femme", j'avais l'Amérique à mes pieds ! J'ai eu des propositions, Marlon Brando et Steve MacQueen m'ont appelé pour que je tourne avec eux, mais j'ai eu peur de devenir un metteur en scène normal avec des scenarios tout faits et en tournant qu'avec des stars. J'ai voulu prendre des risques, ne pas faire des films "confortables", c'est ce qui me différencie des autres réalisateurs je crois. Le confort ça vous endort et ça vous rend con.
-Je ne sais pas si j'ai eu raison, j'aurais peut-être moins connu d'échecs, mais en tout cas je me suis bien amusé. On s'amuse plus en allant au casino en ne sachant pas à l'avance si on va gagner, non ? Moi, j'ai besoin d'avoir la mort aux trousses pour avancer, c'est là qu'on est le plus créatif, quand on est en danger qu'on n'a plus rien à perdre. Si on ne prend pas de risques, on passe à côté de sa vie.
Cette prise de risques vous la faite prendre aussi à vos acteurs que vous laissez souvent improviser les dialogues...
- Pour moi, un comédien doit se mettre en danger ; il doit faire appel à ses cicatrices personnelles pour interpréter un rôle. Girardot était comme ça... il n'y a rien de plus photogénique que les cicatrices. La création se fait dans la souffrance.
A 73 ans, vous préparez un 44e film, dont le tournage est prévu en octobre prochain, "Le chemin de l'orgueil", vous n'êtes donc pas lassé ?
- Je m'amuse encore plus qu'il y a 50 ans ! Ca s'aggrave tous les jours, il faudra m'enfermer pour m'arrêter. J'ai le corps d'un homme de 73 ans, mais je suis encore un ado, j'aurais toujours 18 ans dans ma tête. La jeunesse c'est prendre des risques sinon on commence à devenir un vieux con.
Vous avez déjà une idée du casting ?
- Ce sera un hommage à la connerie avec des vieux cons, des jeunes cons et des cons en devenir !
Propos recueillis par Sophie Moulin
D'un film à l'autre (bande-annonce) par lesfilms13