De l'aube au crépuscule Yolande Moreau, actrice métaphysique
ENTRETIEN AVEC PHILIPPE LAGOUCHE
Elle retrouve son réalisateur préféré, celui grâce auquel elle croisa un jour la route de Séraphine de Senlis, qui la qualifie d'actrice métaphysique. Dans ce nouveau film, «Où va la nuit» (tourné dans la région), Yolande Moreau adopte une manière très douce de parler, de murmurer presque…
« Tiens, j'avais oublié ce truc-là! Je pense l'avoir suggéré à Martin avant le début du film. J'avais envie de parler très, très bas. J'ai remarqué que les femmes qui sont en dépression n'ont plus de voix, plus de force. La voix est symptomatique de son être. »
Un personnage
Il y a une rêverie sur le personnage et un travail en amont dont il est toujours difficile de dire de quoi il est fait. Cette rêverie était présente dès le départ de la lecture du roman, Mauvaise pente, de Keith Ridgway, dont le film est tiré. Dans le roman, ce qui m'a le plus touché, c'est que c'était une femme battue. Heureusement, c'est plus complexe que ça. Martin a insisté pour que je n'en fasse pas un personnage plaintif. Il ne fallait pas tomber là-dedans. C'est un rôle plus sombre, plus intérieur, plus difficile que celui de Séraphine. C'est une femme qui vit dans un monde très retranché et qui, à un moment donné, en a ras-le-bol. En jouant, je n'oublie jamais la première intention, à savoir que c'est une femme qui aime son fils. Leurs relations sont compliquées, la culpabilité s'est nichée entre eux. Avec son fils, c'est fusionnel, même si elle sent qu'il lui échappe. Elle voudrait repartir de zéro, comme si on pouvait rattraper les choses.
Un rôle
C'est toujours fait d'une multitude de choses, de l'idée qu'on s'en fait, de ce que le réalisateur m'apporte comme images, de ce que renvoient les autres aussi. C'est toujours très difficile de parler d'un rôle. Je suis toujours très angoissée le premier jour du tournage. Il y a toute une équipe à laquelle on se confronte. Il y a le premier tour de manivelle, les autres acteurs qu'on ne connaît pas forcément. Cela s'ébauche autour d'un verre, d'un repas
Jamais, je ne regarde ce que j'ai fait. Les choses s'installent petit à petit. On enfile un costume, on prend place dans un décor, on pose sa voix. Tout ce qu'on a imaginé prend vie, mais pas nécessairement de la manière dont on l'imagine. Le regard de l'équipe – les premiers spectateurs - est très important aussi.
Un métier
Même si certaines personnes qui n'ont jamais joué trouvent le ton juste et ont cet instinct-là, je pense que c'est un travail et qu'on va de découverte en découverte. Ce n'est jamais acquis. Moi, j'ai 58 ans et encore parfois ce syndrome d'usurpation dont j'aime bien parler. En même temps, j'ai ma place et j'y tiens. C'est comme les jardins, une fois qu'on a mis son nez dedans, on n'a jamais fini d'apprendre.
Son réalisateur
Je n'ai qu'une envie, c'est de continuer avec lui. Séraphine a été une si belle aventure!
Avec Martin, on est devenu amis. On ne répète pas à proprement parler mais on parle beaucoup. On évoque des choses personnelles. On est très en osmose,et ce n'est pas si fréquent que ça, dans notre métier, des réalisateurs avec qui on peut parler de tout, avec qui on se sent proche artistiquement et personnellement. On a un peu les mêmes goûts. On n'habite pas loin l'un de l'autre. Moi en Normandie, lui dans le 95. J'avais fort envie de recommencer avec lui. On gagne du temps à travailler avec quelqu'un avec qui on s'entend bien. On sait l'un l'autre comment on fonctionne. C'est quelqu'un avec qui je peux parler de tout, ce qui me semble important dans le travail de l'acteur. Il y a un travail vers le fond qui est facilité par cette osmose.
Une direction d'acteurs
Chacun peut en avoir une définition radicalement différente. Moi je sais que je n'aime pas trop les indications psychologiques. D'autres les adorent. Il n'y a pas de loi. Moi j'aime bien essayer d'être au plus proche. Si l'après-midi, j'ai une scène dans laquelle je dois être triste, dès le matin, je m'acharne à être dans cette humeur-là. Cela dit, je trouve formidable quand un acteur comme Depardieu fait une blague de cul juste avant de tourner et nous arrache des larmes dès qu'il entend le mot moteur.
Une carrière
J'ai un luxe de choix, ce que je n'ai pas toujours eu, et ce qui est plutôt confortable.
Le tournant a été entamé avec Quand la mer monte. Jusque-là, on ne me proposait que des petits rôles comiques en passant, des personnages de composition fort en couleurs. Même si ça m'amuse de faire ça de temps en temps, je suis contente qu'on m'en propose moins. C'est tellement riche de faire un personnage comme Séraphine! Je ne sais pas si Martin Provost me l'aurait proposée, si je n'avais pas fait Quand la mer monte.
Des projets
Une journée, cet été, dans le nouveau film de mes copains Benoît Delepine et Gustave Kervern. Le prochain Sylvain Chomet qui est toujours d'actualité, en principe cet automne.
Un projet encore que j'aime bien, avec un réalisateur hongrois, l'adaptation du Grand cahier d'Agota Kristof, une ambiance étonnante qui me fait un peu penser au Ruban blanc d'Haneke pour lequel j'avais eu un gros coup de cœur l'an passé. La guerre, vue à travers le regard de deux enfants d'une dizaine d'années. Et une grand-mère dont on croit au début qu'elle est monstrueuse.
Ensuite, si tout va bien, je réaliserai mon deuxième film dans lequel je ne jouerai pas. La rencontre d'un homme d'une cinquantaine d'années, qui vient de perdre sa femme, avec une personne handicapée qui vient travailler chez lui. On tournera dans le Nord et en Belgique.
Où va la nuit ?, le prochain film avec Yolande Moreau, est actuellement tourné à Lille. Pendant dix jours, une maison de Wazemmes a été utilisée comme décor.
C'est l'aventure un peu folle d'une famille dont la maison a été utilisée comme décor de film.
Où va la nuit ?, réalisé par Martin Provost, raconte l'histoire de Rose, une femme battue qui doit se reconstruire après avoir tué son mari.
Il s'agit de l'adaptation du livre Mauvaise Pente de Keith Ridway, dont l'action se déroule en Irlande. A défaut de se rendre là-bas, l'équipe du film tourne à Fourmies, Cambrai, Lille, La Madeleine et en Belgique.
« Nous avons choisi le Nord-Pas-de-Calais car nous trouvions que c'était le paysage qui ressemblait le plus à celui d'Irlande » explique Christophe Jeauffroy, directeur de production.
L'autre raison qui explique ce choix est la subvention offerte par la région à la production d'Où va la nuit ?. En contrepartie, l'équipe du film travaille avec des intermittents du spectacle du Nord.
En ce moment, le tournage se déroule dans la maison des Leclerc*, à Wazemmes. Elle n'a pas été choisie par hasard. Un téléfilm de France 3 avait déjà été réalisé dans leur maison. Ce qui a permis de la « répertorier dans une base de données des bâtiments disponibles pour les tournages », confie Christophe Jeauffroy.
Pour les besoins du tournage, le mobilier de la maison a été totalement modifié. « On se sent dépossédés », explique Anne Leclerc mais « les décorateurs sont suffisamment respectueux pour conserver l'âme de la maison. » La famille Leclerc, rémunérée pour le prêt de son habitation, a été relogée à l'hôtel Carlton pendant la durée du tournage. Pendant dix jours, une trentaine de techniciens foulent le sol de leur domicile mais cela ne dérange pas Anne Leclerc qui se dit « honorée d'avoir pu rendre service à Martin Provost, un réalisateur qu'elle admire. » w * les noms et prénoms ont été modifiés par respect de l'anonymat
QUENTIN LAURENT ( Nord Eclair ).
ENTRETIEN AVEC PHILIPPE LAGOUCHE
Elle retrouve son réalisateur préféré, celui grâce auquel elle croisa un jour la route de Séraphine de Senlis, qui la qualifie d'actrice métaphysique. Dans ce nouveau film, «Où va la nuit» (tourné dans la région), Yolande Moreau adopte une manière très douce de parler, de murmurer presque…
« Tiens, j'avais oublié ce truc-là! Je pense l'avoir suggéré à Martin avant le début du film. J'avais envie de parler très, très bas. J'ai remarqué que les femmes qui sont en dépression n'ont plus de voix, plus de force. La voix est symptomatique de son être. »
Un personnage
Il y a une rêverie sur le personnage et un travail en amont dont il est toujours difficile de dire de quoi il est fait. Cette rêverie était présente dès le départ de la lecture du roman, Mauvaise pente, de Keith Ridgway, dont le film est tiré. Dans le roman, ce qui m'a le plus touché, c'est que c'était une femme battue. Heureusement, c'est plus complexe que ça. Martin a insisté pour que je n'en fasse pas un personnage plaintif. Il ne fallait pas tomber là-dedans. C'est un rôle plus sombre, plus intérieur, plus difficile que celui de Séraphine. C'est une femme qui vit dans un monde très retranché et qui, à un moment donné, en a ras-le-bol. En jouant, je n'oublie jamais la première intention, à savoir que c'est une femme qui aime son fils. Leurs relations sont compliquées, la culpabilité s'est nichée entre eux. Avec son fils, c'est fusionnel, même si elle sent qu'il lui échappe. Elle voudrait repartir de zéro, comme si on pouvait rattraper les choses.
Un rôle
C'est toujours fait d'une multitude de choses, de l'idée qu'on s'en fait, de ce que le réalisateur m'apporte comme images, de ce que renvoient les autres aussi. C'est toujours très difficile de parler d'un rôle. Je suis toujours très angoissée le premier jour du tournage. Il y a toute une équipe à laquelle on se confronte. Il y a le premier tour de manivelle, les autres acteurs qu'on ne connaît pas forcément. Cela s'ébauche autour d'un verre, d'un repas
Jamais, je ne regarde ce que j'ai fait. Les choses s'installent petit à petit. On enfile un costume, on prend place dans un décor, on pose sa voix. Tout ce qu'on a imaginé prend vie, mais pas nécessairement de la manière dont on l'imagine. Le regard de l'équipe – les premiers spectateurs - est très important aussi.
Un métier
Même si certaines personnes qui n'ont jamais joué trouvent le ton juste et ont cet instinct-là, je pense que c'est un travail et qu'on va de découverte en découverte. Ce n'est jamais acquis. Moi, j'ai 58 ans et encore parfois ce syndrome d'usurpation dont j'aime bien parler. En même temps, j'ai ma place et j'y tiens. C'est comme les jardins, une fois qu'on a mis son nez dedans, on n'a jamais fini d'apprendre.
Son réalisateur
Je n'ai qu'une envie, c'est de continuer avec lui. Séraphine a été une si belle aventure!
Avec Martin, on est devenu amis. On ne répète pas à proprement parler mais on parle beaucoup. On évoque des choses personnelles. On est très en osmose,et ce n'est pas si fréquent que ça, dans notre métier, des réalisateurs avec qui on peut parler de tout, avec qui on se sent proche artistiquement et personnellement. On a un peu les mêmes goûts. On n'habite pas loin l'un de l'autre. Moi en Normandie, lui dans le 95. J'avais fort envie de recommencer avec lui. On gagne du temps à travailler avec quelqu'un avec qui on s'entend bien. On sait l'un l'autre comment on fonctionne. C'est quelqu'un avec qui je peux parler de tout, ce qui me semble important dans le travail de l'acteur. Il y a un travail vers le fond qui est facilité par cette osmose.
Une direction d'acteurs
Chacun peut en avoir une définition radicalement différente. Moi je sais que je n'aime pas trop les indications psychologiques. D'autres les adorent. Il n'y a pas de loi. Moi j'aime bien essayer d'être au plus proche. Si l'après-midi, j'ai une scène dans laquelle je dois être triste, dès le matin, je m'acharne à être dans cette humeur-là. Cela dit, je trouve formidable quand un acteur comme Depardieu fait une blague de cul juste avant de tourner et nous arrache des larmes dès qu'il entend le mot moteur.
Une carrière
J'ai un luxe de choix, ce que je n'ai pas toujours eu, et ce qui est plutôt confortable.
Le tournant a été entamé avec Quand la mer monte. Jusque-là, on ne me proposait que des petits rôles comiques en passant, des personnages de composition fort en couleurs. Même si ça m'amuse de faire ça de temps en temps, je suis contente qu'on m'en propose moins. C'est tellement riche de faire un personnage comme Séraphine! Je ne sais pas si Martin Provost me l'aurait proposée, si je n'avais pas fait Quand la mer monte.
Des projets
Une journée, cet été, dans le nouveau film de mes copains Benoît Delepine et Gustave Kervern. Le prochain Sylvain Chomet qui est toujours d'actualité, en principe cet automne.
Un projet encore que j'aime bien, avec un réalisateur hongrois, l'adaptation du Grand cahier d'Agota Kristof, une ambiance étonnante qui me fait un peu penser au Ruban blanc d'Haneke pour lequel j'avais eu un gros coup de cœur l'an passé. La guerre, vue à travers le regard de deux enfants d'une dizaine d'années. Et une grand-mère dont on croit au début qu'elle est monstrueuse.
Ensuite, si tout va bien, je réaliserai mon deuxième film dans lequel je ne jouerai pas. La rencontre d'un homme d'une cinquantaine d'années, qui vient de perdre sa femme, avec une personne handicapée qui vient travailler chez lui. On tournera dans le Nord et en Belgique.
Où va la nuit ?, le prochain film avec Yolande Moreau, est actuellement tourné à Lille. Pendant dix jours, une maison de Wazemmes a été utilisée comme décor.
C'est l'aventure un peu folle d'une famille dont la maison a été utilisée comme décor de film.
Où va la nuit ?, réalisé par Martin Provost, raconte l'histoire de Rose, une femme battue qui doit se reconstruire après avoir tué son mari.
Il s'agit de l'adaptation du livre Mauvaise Pente de Keith Ridway, dont l'action se déroule en Irlande. A défaut de se rendre là-bas, l'équipe du film tourne à Fourmies, Cambrai, Lille, La Madeleine et en Belgique.
« Nous avons choisi le Nord-Pas-de-Calais car nous trouvions que c'était le paysage qui ressemblait le plus à celui d'Irlande » explique Christophe Jeauffroy, directeur de production.
L'autre raison qui explique ce choix est la subvention offerte par la région à la production d'Où va la nuit ?. En contrepartie, l'équipe du film travaille avec des intermittents du spectacle du Nord.
En ce moment, le tournage se déroule dans la maison des Leclerc*, à Wazemmes. Elle n'a pas été choisie par hasard. Un téléfilm de France 3 avait déjà été réalisé dans leur maison. Ce qui a permis de la « répertorier dans une base de données des bâtiments disponibles pour les tournages », confie Christophe Jeauffroy.
Pour les besoins du tournage, le mobilier de la maison a été totalement modifié. « On se sent dépossédés », explique Anne Leclerc mais « les décorateurs sont suffisamment respectueux pour conserver l'âme de la maison. » La famille Leclerc, rémunérée pour le prêt de son habitation, a été relogée à l'hôtel Carlton pendant la durée du tournage. Pendant dix jours, une trentaine de techniciens foulent le sol de leur domicile mais cela ne dérange pas Anne Leclerc qui se dit « honorée d'avoir pu rendre service à Martin Provost, un réalisateur qu'elle admire. » w * les noms et prénoms ont été modifiés par respect de l'anonymat
QUENTIN LAURENT ( Nord Eclair ).